Enfance sans nature : lettre ouverte aux adultes

Depuis de trop nombreuses années sonnent les alertes sur l’état de la nature. Médecins, pédagogues, scientifiques nous alertent aussi sur notre état de santé et les conséquences directes ou exacerbées par un manque de contact régulier avec la nature (stress, hypertension, troubles de l’attention, du sommeil, de la vue, surpoids…). Les bienfaits de la nature et les dangers de son éloignement, notamment pour les enfants, ont largement été étudiés et référencés, entre autres par Sarah Wauquiez, pédagogue par la nature. Avant le confinement, le temps passé dehors en général, dans la nature en particulier, était dramatiquement bas.

Qu’en est-il aujourd’hui ? Est-ce que la question à nous poser est celle du retard sur les programmes scolaires ou plutôt de savoir si nos enfants n’ont pas pris du retard sur l’indispensable temps passé à grandir dehors ? A l’heure du déconfinement, quelles actions devons-nous mettre en œuvre ?

 

Absence de contact régulier avec la nature : l’autre alerte sanitaire et sociale

 

Visiblement, il est encore nécessaire d’écrire sur l’urgence de sortir avec nos enfants, malgré la littérature et les études florissantes sur le sujet. Mais s’il faut évoquer de nouveaux arguments, l’actualité en cours ne fait qu’apporter de l’eau à notre moulin dont la roue tourne à un nouveau rythme depuis la mi-mars 2020 : 23 h sur 24 h à l’intérieur voire davantage car nombre d’enfants ne sortent pas du tout. Des heures et des heures d’écrans pour les devoirs et comme seul et unique loisir et moyen de communication. Stop ou encore ?

 

Des alertes de la Fédération Française de Cardiologie aux différentes stratégies publiques en santé environnement (PRSE1), des tutos qui fleurissent sur internet pour dire l’urgence de garder nos corps en mouvement, des bienfaits des arbres aux graines que nous chérissons sur nos maigres bords de fenêtres, tout parle du besoin de nature. Des multiples expérimentations d’avant confinement (écoles du dehors, clubs nature, classes vertes, jardins thérapeutiques, etc.) en passant par les vidéos de nature et autres activités mises en lignes pour passer le temps, tout concourt à mettre en lumière ce lien constitutif de notre condition humaine à la nature, au grand air, au dehors. Combien d’entre nous seraient déprimés sans leur bout de jardin, sans un accès régulier à un parc, un chemin, une forêt ? Les études viennent renforcer ces évidences : 55 % de maladies mentales en plus chez les personnes les moins exposées à la nature pendant leurs 10 premières années de vie, par rapport aux personnes les plus en contact avec la nature (2).

 

Après de longues semaines d’isolement social, l’urgence est aussi à l’ouverture d’espaces de parole qui aideront à interroger, comprendre, prendre de la distance face à la surmédiatisation dans laquelle nous vivons. Les temps de loisirs collectifs apportent, par des techniques connues des animateurs et animatrices, des possibilités de s’exprimer, débattre, philosopher. C’est aussi l’occasion de parler de la mort, structurante dans la dynamique du vivant et qui mérite un traitement plus large que de simples chiffres de victimes du Covid. Changer de cadre c’est en enfin faire de la place à de nouvelles idées car la faune, la flore, les rencontres inopinées nous permettent de nous décentrer, de nous retrouver et de nous sentir tout simplement vivant.

 

Retrouver le chemin du dehors, c’est donc retrouver le chemin d’une santé dans toutes ses composantes, gage d’équilibre et de disponibilité pour tous les apprentissages et pour réapprendre à faire société.

 

La nature démultiplie les situations d’apprentissage

 

Les expérimentations développées en France et notamment en Alsace ces dernières années au sein du réseau de l’Ariena vont dans ce sens. Les dispositifs Grandir dehors (3) ou Jeunes dans la nature (4) mis en place dans des écoles, accueils de loisirs, hôpitaux de jour, centres socio-culturels et ailleurs, attestent de la portée éducative de ces temps et de leurs bienfaits.

 

« Les enfants sont très intéressés dehors : ils posent des questions, ils regardent, ils essayent, ils manipulent… Le fait d’être en contact direct avec la nature les rend naturellement curieux et acteurs de leur apprentissage. » (Olivier, enseignant en élémentaire, Grandir dehors)

 

La fréquentation de la nature dans ce contexte est l’occasion pour les enfants de développer leur esprit d’analyse, leur inventivité, qui les aident à identifier, résoudre des problèmes et prendre des décisions, que ce soit de manière individuelle ou en coopérant avec leurs camarades.
Par les interactions interpersonnelles, en sous-groupes, ce sont toutes les compétences du registre de la communication, des relations (aujourd’hui en souffrance) qui sont travaillées et partagées en référence à des situations palpables, concrètes, ancrées dans une réalité de terrain. Les inégalités sociales se réduisent l’espace d’un temps grâce aux références construites ensemble. Ce sont en enfin autant d’éléments nécessaires à la confiance en soi dont nous avons tous besoin. Sortir, c’est aussi permettre à chacun de s’exprimer, bouger, extérioriser toute cette énergie accumulée. Ouvrir nos yeux saturés de lumière artificielle, retrouver des latitudes d’expressions corporelles, c’est reprendre conscience de soi, de son corps, vecteur essentiel pour regagner la faculté de gérer notre stress et nos émotions mises à mal.

 

Les urgentistes du déficit de nature

 

Les professionnels et les bénévoles de l’éducation à la nature et à l’environnement sont une des chevilles ouvrières de la construction et du renforcement de ce lien à la nature qui nous structure. Formés à accompagner des groupes de tous âges dans la nature, habitués au caractère changeant des conditions en extérieur, à gérer les imprévus, les animatrices et animateurs nature œuvrent dans des espaces ouverts qui leur offrent une souplesse d’intervention que quatre murs, même décorés, ne peuvent apporter. Le gel hydroalcoolique et les mesures d’hygiène liées à la vie en extérieur font de longue date partie de leurs usages. Ajouter un masque et des gestes barrières ne remet pas en cause la possibilité de faire du sport en plein air, du dessin, de la géométrie avec une guêpe poliste sur le talus d’à côté, de travailler les symétries avec les cétoines sur les rosiers, les cycles de vie des insectes avec les chenilles du potager, la géographie avec les hirondelles de retour de leur long périple migratoire, pour en enfin nourrir tous les travaux liés au français et aux langues en général une fois de retour en classe…

 

Comme l’écrivait Maurice Merleau-Ponty, phénoménologue, « tout ce que je sais du monde, même par la science, je le sais à partir d’une vue mienne ou d’une expérience du monde sans laquelle les symboles de la science ne voudraient rien dire (5) ».

 

A l’heure du déconfinement, nous appelons à interroger en profondeur les possibilités d’une ouverture de nos écoles, accueils de loisirs, centres socio-culturels et plus largement de tous les espaces éducatifs à la nature, aux extérieurs, au plein air ! Cette perspective doit s’imposer comme une priorité dès à présent, pour la fin d’année scolaire, cet été dans les accueils de loisirs, séjours de vacances et autres camps qui travaillent aux modalités d’organisation de la nouvelle donne sanitaire. Il en va de la santé physique, mentale et émotionnelle de nos enfants, de nos équilibres individuels et collectifs. Il s’agit aujourd’hui de repenser le sens donné aux apprentissages, aux enseignements et aux loisirs, à l’heure des grands bouleversements climatiques qui n’ont, hélas, pas disparus durant le confinement.

 

 

Lundi 4 mai 2020,
au nom de l’ensemble des membres de l’Ariena

(Réseau des associations d’éducation à la nature et à l’environnement en Alsace)
Anne-Marie SCHAFF,
Présidente de l’Ariena

 

 

 

 

(1). Plan Régional Santé Environnement
(2). Étude conduite sur plus de 900 000 personnes par Christine Engemann, Université Aarhus, département de Biosciences, Danemark
(3). et (4). http://ariena.org/ressources-pedagogiques/pedagogies-dans-la-nature/
(5). Cité par Dominique Cottereau, chercheuse en sciences de l’éducation dans la préface du guide Grandir dehors réalisé par l’Ariena.